3 questions à Cheikh Fall, le célèbre blogueur et cyber-activiste sénégalais

Le célèbre blogueur, cyber-activiste et journaliste sénégalais Cheikh Fall a séjourné en Haïti du 24 avril au 1er mai. © David Nieto

Le célèbre blogueur, cyber-activiste et journaliste sénégalais Cheikh Fall a séjourné en Haïti du 24 avril au 1er mai. © David Nieto / UN / MINUJUSTH, 2018

1 mai 2018

3 questions à Cheikh Fall, le célèbre blogueur et cyber-activiste sénégalais

David Nieto

Du 24 avril au 1er mai, le célèbre blogueur, cyber-activiste et journaliste sénégalais Cheikh Fall était en Haïti, invité par l’Ambassade de France et l’Institut français en Haïti (IFH). Informaticien de formation, il est devenu l’initiateur et le président de la Ligue africaine des blogueurs et web-activistes africains, africtivistes.org. Son objectif ? Favoriser en ligne l’engagement des citoyens dans le débat démocratique.

Il se vante de s’être rendu dans la plupart des Etats d’Afrique, soit dans plus de 39 pays sur 54. Mais ce détail est pourtant loin d’être son seul fait d’arme ! En 2010, Cheikh Fall rentrait dans la petite histoire du web en créant ruepublique.net, le premier média participatif au Sénégal.

Son premier contact avec un ordinateur remonte à 1997. Son premier réflexe ? Poster en ligne ses cours du lycée français. En cherchant à partager le savoir, à faire apprendre aux autres, Cheikh Fall devient sans le savoir un des premiers « blogueurs ». Quelques années plus tard, il décide de couvrir l’élection présidentielle sénégalaise de février 2012 en lançant la plateforme de social-démocratie www.sunu2012.sn. Son idée : surveiller le bon déroulement du processus électoral en faisant des internautes des e-observateurs sans mandat.

Grand adepte de « citoyenneté augmentée », il est persuadé que les technologies de l’information et de la communication peuvent permettre de renforcer l’inclusion démocratique. Rencontre.

Comment la plateforme Sunu2012 a-t-elle permis de donner un nouveau rôle aux citoyens ?

En vue de l’élection 2012 au Sénégal, j’ai commencé à partager des articles du Code électoral afin de les rendre plus lisibles et plus exploitables. Au Sénégal, le Code dit que les citoyens qui votent peuvent aussi surveiller le vote et que le dépouillement doit se faire en public et non en privé. Les citoyens ont la possibilité d’assister à ce que font le président du bureau de vote et les représentants de l’Etat. Le résultat du bureau de vote doit ensuite être rendu public et affiché.

Avec Sunu2012, nous avons choisi de prendre en photo les résultats affichés et de les poster sur notre plateforme. Publier les résultats pour chaque bureau de vote nous a permis de garantir autant que possible la transparence du processus. Ainsi, plus moyen de truquer les votes.

Mais l’observation ne s’est pas limitée à la proclamation des résultats. Pendant toute la journée du vote, les équipes de Sunu2012 ont également fait du journalisme citoyen dans chaque bureau de vote pour vérifier dès 6 heures du matin l’ouverture des locaux, la disposition du matériel… Si des anomalies apparaissaient, si des bulletins venaient à manquer pour un des candidats, on le disait en ligne. Nous étions en quelque sorte des lanceurs d’alertes vis-à-vis des instances organisatrices afin qu’elles viennent corriger en temps réel les manquements liés au respect du processus électoral.

Quelle est la valeur ajoutée de cette « citoyenneté augmentée » que vous évoquez ?

La citoyenneté augmentée permet le renforcement des acquis démocratiques par les citoyens eux-mêmes à travers la co-construction, la contestation et la prise de parole. Dans la plupart des pays africains, les citoyens ne profitent pas encore réellement de leurs droits. On ne leur a presque jamais donné l’occasion et ils n’ont souvent pas accès à une bonne information.

La citoyenneté augmentée est une aubaine pour les démocraties africaines

À ce titre, la citoyenneté augmentée est une vraie aubaine pour les démocraties africaines. L’Etat se contentait de nous envoyer des communiqués après chaque conseil des ministres, mais cette prise de parole était absente : l’interpellation, l’engagement, la proposition et l’organisation du débat par les citoyens.

Dans les pays d’Afrique, les programmes de formation des Africtivistes permettent de consolider les démocraties en donnant le pouvoir aux citoyens et en leur permettant de prendre la parole. Notre réseau est présent dans 40 pays du continent africain et compte plus de 200 membres qui ont tous en partage les valeurs d’un activisme responsable.

Le web permet-il de mieux faire participer la société civile dans l’élaboration des lois ?

Au fond, la démocratie n’est rien d’autre que la somme des pouvoirs des citoyens. Ce n’est pas la force ou le pouvoir du système politique. Une démocratie n’est forte que quand les citoyens qui la composent sont forts de leur citoyenneté.

Quand l’Etat prend une initiative à laquelle les citoyens s’opposent, ils ont désormais la possibilité de peser. En 2014, le Sénégal avait accordé à la Turquie de construire son ambassade à Dakar sur le terrain de la Corniche-Ouest : un des derniers endroits où on peut encore voir la mer ! J’ai simplement posté une photo du mur de construction et un collectif « Non au mur » est né. Au final, le président Macky Sall est revenu sur sa décision et a cassé le contrat avec l’Etat turc. Il a même demandé à ses ministres de lancer un audit sur toutes les constructions illégales sur la corniche.

Avec les réseaux sociaux, internet a permis d'outiller les acteurs de changements

La citoyenneté augmentée permet de créer ce type de « soft revolutions ». C’est le cas au Sénégal où le changement est fluide et passe par une transition démocratique libre et transparente. Contrairement aux révolutions sanglantes qui provoquent des changements politiques mais au prix de centaines de vies humaines.

En tant que technologie de l’information et de la communication, internet est venu informer les citoyens. Mais c’est en tant que technologie de la relation, notamment avec les réseaux sociaux, qu’il a réellement permis d'outiller les acteurs de changements. Les populations prennent de plus en plus le contrôle en devenant force de proposition, d’interpellation et de contestation.  Une initiative comme Sunu2012, au Sénégal et dans tant d’autres pays en Afrique, a permis aujourd’hui de consolider des acquis démocratiques.

Quand cette démocratie sera stable et viable, quand nous n’aurons plus à régler des crises politiques ou diplomatiques, nous pourrons alors avoir une vraie feuille de route économique. Nous serons alors dans une vraie démarche de co-construction citoyenne.