#MoisdelaFemme – partie 2 : “Les plaintes de violences sexuelles aboutissent rarement à des décisions de justice en faveur des victimes”

Le 3 avril 2019, la MINUJUSTH célébrait la Journée nationale du mouvement des femmes haïtiennes avec un forum d'échanges sur le thème "Femmes, Paix et Sécurité : quelles perspectives pour Haïti ?". © Leonora Baumann / UN / MINUJUSTH, 2019

3 mai 2019

#MoisdelaFemme – partie 2 : “Les plaintes de violences sexuelles aboutissent rarement à des décisions de justice en faveur des victimes”

Agathe Fabien

Un 3 avril, les femmes haïtiennes se sont imposées dans la lutte pour l’égalité des sexes et l’équité de genre. C’était en 1986. Cette année, la Mission des Nations Unies pour l’appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH) s’est jointe à cet objectif pour faire avancer les droits des femmes, leur autonomisation et leur accès à la justice en Haïti. Retour sur les témoignages inspirants à l’occasion de la clôture du mois de la femme au sein de la MINUJUSTH.

Lire l'article #MoisdelaFemme – partie 1 : “Qu’est-ce qui nous arrête ? Sommes-nous des stéréotypées ?”

À cause de leurs conséquences dévastatrices assorties d’effets humiliants, dégradants et surtout la stigmatisation systématique qui en résulte pour les victimes, les violences basées sur le genre (VBG) demeurent une préoccupation majeure. C’est en ce sens qu’elles ont suscité un intérêt croissant pour la MINUJUSTH qui a déployé tous les efforts pour dire non à ces pratiques et accompagner les instances nationales dans ce combat commun.

Me Maguy Florestal : "L’engagement de la MINUJUSTH a produit maints effets"

En ceci, tout en mentionnant les réalisations pour améliorer la reconnaissance des femmes dans le système judiciaire haïtien, la Juge à la Cour d’appel de Port-au-Prince, Maguy Florestal, en sa qualité de directrice des études à l’Ecole de la Magistrature (EMA) a témoigné toute sa gratitude envers la MINUJUSTH pour l’intérêt porté dans la lutte pour le respect des droits de la femme haïtienne :« Cet engagement de la MINUJUSTH a produit maints effets parmi lesquels : une prise de conscience chez les magistrats à bien accueillir les victimes et à traiter les dossiers avec plus de professionnalisme. Mais aussi l’aboutissement de la plupart des dossiers avec des condamnations judiciaires et un changement de mentalité dans la population avec, comme impact, une augmentation des plaintes portées par les femmes dans les tribunaux. D’autant qu’au niveau de la prise en charge, la qualité de l’accueil qu’elles reçoivent s’est nettement améliorée. » 

En chiffrant, notons que l’apport matériel et organisationnel de la MINUJUSTH à cette lutte a permis, entre autres, la formation de 1 400 policiers dans la conduite des enquêtes relatives aux crimes sexuels. Une centaine de magistrats ont également été sensibilisés pour un meilleur traitement des dossiers. 40 magistrats, hommes et femmes, ont suivi, avec des formateurs de l’école de police du Québec, une formation spécifique sur les techniques d’interrogatoire et d’audition en matière de VBG, leur permettant d’acquérir de nouvelles techniques pour bien mener l’enquête. Enfin, plus de 150 leaders communautaires ont été sensibilisés afin d’aider les partenaires clés à accroître leur connaissance sur les violences basées sur le genre. 

S’il est vrai que de considérables progrès ont été accomplis dans le processus de l’éradication des VBG en Haïti, des indicateurs renseignent que cette lutte reste loin d’être parachevée reconnaît toutefois la juge Florestal. Mais tout un chacun doit affûter ses armes pour mieux combattre ce fléau, car vaincre les violences exercées à l’égard des femmes et des filles constitue une véritable opportunité de développement et de progrès social. 

Gouvernance Group : "Des dédommagements qui équivalent au prix d’un porc ou d’un cabri"

Représentée à cette activité par sa Secrétaire générale Gabrielle Hyacinthe, l’organisation Gouvernance Group a, elle aussi, apprécié l’engagement spontané et le dévouement de la MINUJUSTH dans un partenariat financier pour un projet mené dans 3 départements sur une durée de 4 mois. Il s’agissait d’un projet de sensibilisation et de mobilisation communautaire sur la violence sexuelle et basée sur le genre et le plaidoyer auprès des acteurs communautaires et étatiques. Le projet qui a touché 44 766 bénéficiaires directs, dont 25 285 femmes, allait comme un gant à la MINUJUSTH qui était déjà préoccupée par la problématique.

Mme Hyacinthe qui s’était laissée pénétrer par le caractère accueillant et le ton de confidence de la rencontre a ainsi partagé ce qui interpellait une réponse rapide aux situations urgentes que vivaient des femmes dans certaines régions du pays : « Après l’ouragan Matthieu, en 2016, dans les départements du Sud, de la Grand’Anse et de l’Artibonite, la problématique des violences basées sur le genre avait gagné en ampleur à cause de la misère si présente et tellement atroce dans ces régions. Des filles de moins de 7 ans étaient agressées pour un bout de pain. Des parents gavaient et soignaient leurs filles de sorte à ce qu’elles soient prêtes, dès l’âge de 15 ans, à offrir des faveurs sexuelles en échange de l’amélioration de leur condition de vie. Ce, au mépris et à la méconnaissance des lois. L’octroi de services étant si difficiles pour les femmes dans ces régions, les plaintes de violences sexuelles aboutissent rarement à des décisions de justice en faveur des victimes. Ce qui les amène, ainsi que leurs parents, à régler le cas à l’amiable d’où des dédommagements qui équivalent parfois au prix d’un porc ou d’un cabri. »

La liste serait encore longue…

Souvent, les victimes ne considéraient pas les comportements abusifs comme étant des violences. À travers ce projet, la Gouvernance Group a constaté que les actions des organisations de femmes de la société civile qui se battaient pour encadrer les victimes étaient parfois incohérentes et incomplètes. L’ONG a donc aidé à renforcer une quinzaine de ces organisations grâce aux outils développés dans les sessions de formations. Les membres de la population sensibilisés ont aujourd’hui une meilleure compréhension des différents types et formes de violences. Six task-forces constituées de représentants communautaires et étatiques dans chacun des départements ciblés ont permis de faire un meilleur suivi judiciaire des cas déposés dans les tribunaux, tout en identifiant les obstacles dans le traitement de ces dossiers. Ce réseautage a suscité une certaine synergie entre eux et facilité une approche pluridisciplinaire et intégrée des victimes de violences.

Ces résultats encouragent la Gouvernance Group à continuer l’encadrement de ces structures dans la mise en place de leur plan d’action. D’autant que, malgré ces avancées réalisées, l’organisation ne sous-estime pas les défis auxquels ces personnes seront confrontées. Car des leçons apprises dans le cadre de ce projet portent à croire que le mouvement féminin haïtien a encore une longue route à parcourir pour arriver à l’égalité entre les hommes et les femmes en Haïti.

RECIF-Création : et sur un air entraînant…

Célébration du 33eme anniversaire de la Journée nationale du Mouvement des femmes haïtiennes avions-nous dit. Divertissement et saine camaraderie étaient donc de la partie comme il se doit pour tout anniversaire.

À travers un mélange d’arts scéniques (déclamations, danse, mime et théâtre), RECIF-Création, un partenaire de la MINUJUSTH composé de jeunes qui ont d’ailleurs reçu de la Mission des séances de formation sur la thématique VBG, a mis à contribution les talents et la sensibilité de ses membres sur ce sujet. Ce, dans l’objectif de donner un coup de projecteur sur les dures réalités que supportent les femmes haïtiennes pour obtenir un emploi, pour accéder à de grandes études, pour participer et s’imposer en politique, pour dénoncer les pratiques de harcèlement, de discrimination et de violence dont les femmes sont victimes, inviter et sensibiliser sur les changements nécessaires pour le respect des droits des femmes.

Mais il n’y a pas eu que les professionnels de la scène à animer ce moment de célébration. Il fallait voir comment les policières, UNPOL et haïtiennes confondues, dans leurs uniformes bien ajustés, se sont amusées sur des rythmes entraînants. Tout simplement comme des femmes… multifonction !

Lire l'article #MoisdelaFemme – partie 1 : “Qu’est-ce qui nous arrête ? Sommes-nous des stéréotypées ?"

Découvrir les photos : "Avril 2019 – Célébration de la Journée nationale du mouvement des femmes haïtiennes"