“Fanm Poto Mitan” : conscientiser et rassembler la population via le théâtre

Conçu pour être joué dans des espaces libres (ici place Carl Brouard, Port-au-Prince), "Fanm Poto Mitan" ("Femmes Pilier") est un spectacle de théâtre-forum qui évoque le rôle central des femmes et des filles dans la société haïtienne et qui dénonce les violences basées sur le genre. © Leonora Baumann / UN / MINUJUSTH, 2018

3 mar 2019

“Fanm Poto Mitan” : conscientiser et rassembler la population via le théâtre

Leonora Baumann

Fanm Poto Mitan (« Femmes Pilier ») est un spectacle de théâtre-forum conçu pour être joué dans des espaces libres tels que les places publiques. C’est un mélange de chant traditionnel ou de vaudou, d’exercices corporels tirés de la danse contemporaine, de textes engagés traitant de l’importance du rôle des femmes et des filles dans la société et dénonçant les violences subies par ces dernières. Tout en mettant en avant la combativité des femmes haïtiennes, cette pièce illustre les péripéties perpétuelles de ces dernières pour pouvoir gagner leur pain et celui de leurs enfants sous la domination des hommes et le mépris de toute une société.

Il est 16h quand un groupe de jeunes commence à installer des haut-parleurs sur la place Carl Brouard, au cœur du quartier populaire de Bas Peu de Choses, à Port-au-Prince (Haïti). Les passants vaquent à leurs occupations, les commerçants de rue font leur business et des écoliers intrigués s’arrêtent pour voir ce qui se prépare. Après quelques tests de son, la musique retentit. Accompagnés de chansons traitant de violences à l’égard des femmes, les jeunes commencent à interpeller les passants sur ce sujet.

Chaque témoignage ainsi obtenu est unique et les points de vue sont variés. Alors que certains hommes affirment qu’elles ne feraient jamais de mal à une femme car ‘ils ont eux-mêmes une mère’, d’autres avouent ouvertement et en présence de leur compagne que s’ils frappent cette dernière cela n’enlève rien à l’amour dans le couple.

Soudain, une forte agitation se fait sentir, les jeunes se brouillent les uns contre les autres et la situation semble basculer dans la violence. Intrigués, de plus en plus de passants s’arrêtent pour observer ce qui se passe. Et c’est là que le spectacle commence.  

Femmes battues, femmes prostituées, femmes résignées, femmes révoltées, toutes sortes de femmes sont représentées pour honorer la vie de ces battantes en Haïti et pour montrer qu’elles sont réellement des femmes piliers, « Poto Mitan ». Ce projet tient à conscientiser et rassembler la population via le théâtre pour exprimer son engagement dans la lutte contre la violence faite femmes. Violences qui gangrènent la société haïtienne touchée grandement par ce fléau dans tous les milieux sociaux. Les résultats de l’Enquête, Mortalité, Morbidité et utilisation des services (EMMUS -5 2012) ont révélé que : 28 % de femmes (dont 3/10) ont déclaré avoir subi des violences physiques à un moment quelconque de leur vie depuis l’âge de 15 ans. 13% des femmes haïtiennes ont subi des violences sexuelles à un moment quelconque de leur vie.

Ce spectacle est né de la volonté du comédien et metteur en scène Lesly Maxi de poursuivre une aventure qui a débuté lors des ateliers d’initiation du Port-au-Prince Art Performance (PAPAP), en mai 2018. Organisé durant 14 jours par l’artiste chorégraphe haïtienne Kettly Noël, en collaboration avec la Mission des Nations Unies pour l’appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH), le laboratoire « Tichèlbè » a abordé un sujet clé en Haïti : celui des violences faites aux femmes. Kettly Noël voulait amener les jeunes à prendre conscience des mécanismes de la domination masculine. Provoquer chez chacun et chacune une réflexion sur les stéréotypes machistes au cœur des actes de violence sexistes et amener cette nouvelle génération d’artistes à les dénoncer à travers la danse contemporaine et l'interprétation théâtrale.

Pari réussi car à l’issue de cet atelier, quinze des participants ont fait le choix d’aller plus loin et de créer leur propre pièce.

Issus d’horizons différents, chanteurs, comédiens, slameurs et danseurs, ils ont rejoint la compagnie RECIF poussés par leur envie commune de continuer cet engagement. Conscients qu’en Haïti les femmes sont encore largement marginalisées ils se sont fixés pour objectif de conscientiser et rassembler la population via le théâtre.

Sous la supervision du comédien et metteur en scène Lesly Maxi et avec le soutien de l’unité Genre de la MINUJUSTH, à travers des séances de formation sur la thématique Violence sexuelle-Violence basée sur le genre animées par Bethie Casty, ces jeunes ont créé leurs propre pièce intitulé « Poto Mitan » qui se veut être un « cri contre la violence faite aux femmes ».

Ainsi, ils ont sillonné le pays à la rencontre de la population. Ils sont allés performer sur différentes places publiques à Saint Marc, aux Gonaïves, à Pétion-Ville et à Port-au-Prince dans la perspective de promouvoir l’équilibre dans les relations sociales entre les femmes et les hommes. Contribuer au changement des mœurs et des comportements empreints de violence contre les femmes par le rire, le théâtre et la danse en vue du respect des droits et de la dignité pour tous, ce projet veut porter la population à réfléchir sérieusement sur cette problématique.