Manifestations : “Mon travail au CIMO consiste à protéger les manifestants et à encaisser”
Pendant plus de 10 jours, du 7 au 16 février 2019, ils étaient sur le terrain pour assurer la sécurité des communautés et des individus dans le cadre des protestations. Qui ? Les agents du Corps d'intervention et de maintien de l'ordre (CIMO), la structure de la Police nationale d’Haïti (PNH) en charge d’encadrer les rassemblements, manifestations et autres mouvements de contestation populaire. Agent de 1er grade, Pierre Donald, 32 ans, marié et père d’un petit garçon, témoigne de son expérience.
Le 23 décembre 2012, il graduait de l'École nationale de Police (ENP) pour venir renforcer les effectifs de la PNH. Issu de la 23e promotion, Pierre Donald a séjourné quelques mois seulement au commissariat de Carrefour (Ouest) avant d’intégrer le CIMO. « Un rêve d’enfant », confie-t-il. Depuis plus 6 ans, l'agent prend désormais part aux patrouilles mobiles qui accompagnent notamment les manifestations.
Une mission de protection des personnes et des biens mise à rude épreuve par les épisodes de violence qui ont marqué les manifestations du 7 au 16 février. Pillages de magasins, jets de pierres, incendies de véhicules et de bâtiments publics ou privés : Pierre Donald était aux premières loges des mouvements de protestations.
Vous avez passé près de 10 journées sur le terrain au contact des manifestants. Quelles étaient vos impressions ?
En soi, les manifestants n’ont pas un problème personnel avec les agents du CIMO. C’est à l’ordre que nous représentons que certains peuvent en vouloir. Mais il n’y a pas eu d’attaques directes sur les patrouilles de police, comme en novembre dernier, plutôt des provocations…
La grande majorité des manifestants, je dirais bien 97 %, étaient des hommes. Parmi eux, certains étaient armés : dans ces cas de figure, il faut être très prudent pour éviter que des personnes ne soient blessées. Face à ce type d’événements, nous veillons les uns sur les autres, entre policiers et avec les membres de la population non-armée. C’est ce qui nous donne la force de travail nécessaire au quotidien sur le terrain.
Quel est votre souvenir le plus mémorable ?
Toutes les journées ont été très intenses, mais la journée du mercredi 13 février était particulièrement forte en émotions. Henry Gloria Stéphanie, une collègue rentrée récemment au sein du CIMO, a même été blessée au visage. C’était une journée difficile. On avait effectué un barrage, mais le vent limitait l’utilisation des gaz lacrymogènes. Notre travail a été de contenir la foule en attendant que la nuit tombe…
Même les manifestations qui se veulent pacifiques finissent parfois par dégénérer. À 10 h am, tous les manifestants se disent pacifiques. Mais à 4 h pm, la situation a souvent beaucoup changé et les groupes présents sont plus hostiles… C’est pourquoi notre mission peut parfois être de restreindre leurs mouvements pour protéger les personnes et les biens et de les amener à se disperser.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir gardien de la paix ?
J’ai intégré la PNH parce que je voulais aider mon pays.
À l’origine, j’ai intégré la PNH parce que je voulais aider mon pays, parce que je voulais lui prêter main forte. C’est un rêve d’enfant : depuis que je suis petit, j’ai toujours aimé le travail du maintien de l’ordre. Je suis toujours marqué par les actes de vandalisme. Les manifestants qui brûlent et qui détruisent les biens des gens.
Aujourd’hui, mon travail au CIMO consiste essentiellement à protéger les manifestants et à encaisser… Au jour le jour, les tâches varient. Un jour je peux porter un bouclier, un autre un bâton.
De l'Académie de Police au terrain des manifestations, comment est-ce que vous estimez la transition ?
À l’Académie, nous nous sommes entraînés pour gérer ce type de situation. On nous apprend par exemple à faire face aux jets de pierre qui peuvent arriver pendant les manifestations. Cela nous permet de ne pas être surpris quand cela nous arrive, comme c’est souvent le cas dans les manifestations.
On nous apprend également quelques règles élémentaires, comme le fait qu’il ne faut jamais rester seul. C’est pourquoi on se déplace toujours en groupe. En tant que force de l’ordre, on nous apprend aussi à gérer la fatigue. Sur le terrain, on n’a pas le droit d’être fatigué !
On entend souvent dire « CIMO un jour, CIMO toujours » : où vous voyez-vous dans les prochaines années ?
Ce qui m’intéresse réellement, c’est le maintien de l’ordre. Tant que je le pourrai, je voudrais rester travailler en tant qu’agent de l’ordre au sein du CIMO. Bien sûr en montant les grades ! Mais je ne m’imagine nulle part ailleurs.
Il y aura toujours des manifestations. Elles font même partie de notre culture. C’est pourquoi le maintien de l’ordre sera toujours nécessaire. C’est nécessaire pour la stabilité du pays. Parce que tant que les droits fondamentaux ne seront pas garantis, il y aura toujours une cause pour que les citoyens manifestent.
Pierre Guéder, Inspecteur divisionnaire : « Plus vite, plus haut, plus fort »« Travailler au CIMO, ce n’est pas si facile que ça. Il faut savoir travailler en assumant à la fois la pression populaire, la pression des organisations de défense des droits de l’homme et bien sûr la pression des responsables de la police. Pourtant, c’est une des unités les plus indispensables de la PNH. En tant que policier du CIMO, il faut être encore plus fort que les autres. Notre devise pourrait être « Plus vite, plus haut, plus fort ». C’est pourquoi on retrouve cette excellence dans nos formations. J’enseigne le maintien de l’ordre depuis 1997. On apprend aux recrues à montrer la force pour ne pas avoir à l’utiliser et pour éviter le corps-à-corps. Cela demande du savoir-faire, beaucoup de discipline mais aussi un très fort esprit d’équipe. Les policiers cultivent l’importance du vivre ensemble, la fraternité entre eux. Nous sommes des hommes d’honneur, des hommes de cœur. Ces policiers apprennent à travailler avec de la chaleur : la chaleur du soleil sur la tête, la chaleur du béton sous les pieds et la chaleur des émotions dans le cœur. |