Prison pour mineurs : le nouveau Commissaire du gouvernement fait libérer 33 jeunes en détention préventive prolongée

Nommé le 18 décembre 2018 au poste de Commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince, Me Paul Éronce Villard entend faire de sa juridiction un modèle pour toutes les autres en Haïti. © UNPOL Uttam Timalsina / UN / MINUJUSTH, 2019

27 fév 2019

Prison pour mineurs : le nouveau Commissaire du gouvernement fait libérer 33 jeunes en détention préventive prolongée

David Nieto

Le 18 décembre 2018, Me Paul Éronce Villard était investi dans ses fonctions de nouveau Commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince. Son objectif à la tête du parquet ? Faire de cette juridiction un modèle dans la République haïtienne. En janvier 2019, il entreprenait des mesures de libération vis-à-vis de 33 mineurs en détention préventive prolongée.

Sur les 108 détenus du Centre de rééducation des mineurs en conflits avec la loi (CERMICOL), 7 seulement ont pu être jugés. Pour les 101 autres mineurs, aucun juge ne s’est encore prononcé sur leurs dossiers. Une situation alarmante pour le Commissaire du gouvernement Me Paul Éronce Villard, quand certains détenus ont été incarcérés à l’âge de 10 ans et arrivent à l’âge limite de 18 ans qui impose leur transfert de la prison pour mineurs au Pénitencier national, aux côtés de criminels notoires.

En tant que Commissaire du gouvernement, quel a été votre rôle pour la libération de ces 33 mineurs ?

Paul Éronce Villard : Nous avons d’abord commencé par monter une cellule spéciale dédiée au traitement d’une liste de mineurs en situation de détention préventive prolongée ayant une famille d’origine identifiée. Composée de 3 substituts, dont la magistrate Marie-Ange qui a assuré le rôle de coordinatrice, cette cellule a commencé par discuter avec les parents de ces jeunes pour voir comment on pouvait les réintégrer dans leur cellule familiale.

Parmi les 33 mineurs en détention préventive prolongée remis à leurs parents, 15 étaient détenus au CERMICOL, deux au Centre de Carrefour, 9 à la prison civile de Port-au-Prince et 7 à la prison civile de la Croix-des-Bouquets.

La meilleure cellule de protection de l’enfance, c’est la cellule familiale

Notre objectif était de rappeler les principes fondamentaux de la famille. Comme le dit la Constitution de la République, la meilleure cellule de protection de l’enfance, c’est la cellule familiale. Nous avons travaillé en partenariat avec la Mairie de Port-au-Prince et le centre de formation Alliance Informatique. Aujourd’hui, tous suivent des cours d’informatique, une formation qui pourra les préparer à un métier dans le secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC).

Pour entreprendre ces libérations, vous avez recouru à la procédure d’habeas corpus. En quoi ce recours consiste-t-il ?

P.É.V : En Haïti, l’habeas corpus est un recours applicable pour les personnes qui ont été arrêtées mais pour qui la procédure prévue par la Constitution n’a pas été suivie. Selon l’article 26 de la Constitution, « Nul ne peut être maintenu en détention s'il n'a comparu dans les 48 heures qui suivent son arrestation, par devant un juge appelé à statuer sur la légalité de l'arrestation et si ce juge n'a confirmé la détention par décision motivée ».

Le recours en habeas corpus est une action simple et rapide qui permet de trancher sur un cas en faisant le constat de situation… C’est tout d’abord à l’avocat de préparer sa requête. On présente ensuite l’action par-devant le Doyen du Tribunal qui est le juge garant de la liberté des citoyens.

Si la personne est en détention préventive de façon prolongée, le Tribunal a la possibilité de statuer sur son cas. Grâce au travail des assistants légaux, dont ceux du barreau de la juridiction bénéficiant du support technique et financier de la MINUJUSTH, plusieurs organisations de défense des droits humains ont demandé à ce qu’on exerce une action en habeas corpus. C’est ainsi que nous avons pu procéder à la libération de ces jeunes.

En décembre 2018, vous êtes nommé au poste de nouveau Commissaire du gouvernement près le Tribunal de première instance de Port-au-Prince.

P.É.V : Depuis notre prestation de serment, notre objectif est clair. La machine administrative du parquet doit être rationnalisée et améliorée. Nous sommes par exemple passés de la production de 40 réquisitoires en 6 mois à 199 en 1 mois. Nous avons par exemple demandé un certain quota de réquisitoires par substitut.

La Juridiction de Port-au-Prince a vocation à devenir un modèle pour toutes les autres en Haïti. Si nous gardons le cap sur ces résultats, suivant notre modèle et avec cette stratégie, la question de la détention préventive prolongée en Haïti ne serait plus considérée comme une fatalité.

Dans cette lutte contre la détention préventive prolongée, quels acteurs peut-on mobiliser ?

P.É.V : Tous les acteurs de la chaîne pénale et les organisations de défense des droits de la personne, comme lanceurs d’alerte, doivent joindre leurs efforts dans cette quête de justice au profit de nombreux démunis et personnes vulnérables emprisonnés.

Pour le moment, seul le parquet de Port-au-Prince met en pratique la procédure de comparution immédiate. Le problème avec cette procédure reste son opérationnalisation. C’est pourquoi nous avons mis en place une stratégie pour aboutir à la mise en œuvre de cette loi du 6 mai 1927 qui fixe une procédure plus rapide dans les cas de flagrant délit devant les Tribunaux correctionnels. En effet, au Tribunal, une équipe constituée d’un substitut du Commissaire du gouvernement, d’un greffier et d’un huissier siège en permanence pour les comparutions immédiates.

Mais la Police nationale d’Haïti ne parvient pas encore à déférer les inculpés à partir de 11 heures am. Le respect des délais est primordial pour que ces procédures fonctionnent bien au jour le jour. Cela passe par exemple par des procès-verbaux raccourcis. Du côté du CSPJ, il faut que des inspecteurs judiciaires prennent en main l’implémentation des procédures de comparution immédiate.

Quel rôle peut jouer la société civile ?

P.É.V : Le concours de la société civile est incommensurable. A mon sens, il est capital de faire le lien entre la société civile et le fonctionnement de la Justice. Il faut dire à la société civile que ce recours à l’habeas corpus existe. Pas seulement pour les enfants mais pour tous les détenus qui se trouvent aujourd’hui en situation de détention préventive prolongée. Si les délais prévus par la loi ne sont pas respectés, l’action en habeas corpus est toujours une possibilité !

La Justice est un service public qui concerne toute la société

C’est pourquoi je travaille à une campagne de sensibilisation à travers des conférences de presse mensuelles, comme le permet l’article 40 de la loi de 2007 sur le statut de la magistrature qui donne la possibilité au Commissaire du gouvernement pour informer l’opinion publique de l’état d’avancement des dossiers de la nation. La Justice, ce n’est pas la seule affaire d’un Commissaire du gouvernement, d’un juge, d’un Président, d’un Premier Ministre ou d’un ministre de la Justice. La Justice est un service public qui concerne toute la société. Je veux que la population réalise qu’il y a urgence à agir !